17.01.2012
La révélation de l'existence d'une police dédiée aux anarchistes et marginaux à Montréal repose la question des relations entre la population et les forces de l'ordre. Alors que la Crap dénonce le profilage racial des bavures policières, des polices comme l'escouade Gamma opèrent fficiellement un profilage politique.
Alexandre Popovic, de la Coalition contre la répression et les abus policiers (Crap), se préoccupe d'une lubie policière récente : l'escouade Gamma (Guet des activités et des mouvements des marginaux et des anarchistes). Une police politique découverte après qu'une escarmouche entre membres du PCR (maoïstes québécois) et les forces de l'ordre en mai 2011 ait conduit l'anti-gang de la ville à arrêter quatre militants de cette organisation. Marc André Cyr, étudiant en science politique, voit
dans ce nouveau service «un profilage politique».
L'association étudiante Asse (syndicat de lutte étudiant au Québec) SSE a subi quatre arrestations pour avoir occupé des bâtiments administratifs en mars dernier contre l'augmentation des frais de scolarité. Sa marginalité n'est plus à prouver : 45 000 membres peuvent à présent être suspectés d'activités anarchistes ! L'escouade Gamma qui cherche à en connaître un rayon sur les activités subversives dépend de la division du crime organisé. Le sergent Lafreniere se défend en parlant d'une escouade temporaire : «Les gens que nous avons arrêtés, [...] ont commis des actes
criminels, pas parce qu'ils ont tenu une réunion».
Et oui, il va y avoir d'autres arrestations. Ceux qui font des crimes, nous allons les arrêter », martèle-t-il rappelant là un autre sergent, le sergent Garcia (sic).
L'avocate Véronique Robert estime, quant à elle, qu'il ne s'agit pas d'une
répression des idéologies. Elle croit savoir que l'escouade existe depuis deux ans mais qu'elle n'agit que depuis quelques mois.
Une répression de plus en plus violente
Francis Dupui-Déri, professeur et spécialiste des mouvements sociaux plaisante sur la dénomination Gamma : « J'hésite entre pure provocation et erreur ». Il s'interroge sur la ville de Montréal considérée comme une place forte de l'anarchisme : « Il est vrai que le salon du livre anarchiste est le plus grand d'Amérique du Nord, que les réseaux Chiapas et altermondialistes vivent une belle époque ».
À cela s'ajoutent la convergence de luttes anticapitalistes et surtout le sommet du G20 de Toronto où les militants venus du Québec ont été particulièrement visés. «
Les Blacks Blocks viennent toujours d'ailleurs comme les barbares » retient celui dont le livre a été retrouvé dans la bibliothèque de Tarnac. Alexandre Popovic complète : «1100 arrestations, les Québécois étaient visés. Toronto est une trappe à rats ! C'était un Québec Bashing ! (Passage à tabac québecois)».
Francis Dupui-Déri remarque que la technique de l'encerclement de masse est apparue depuis 2000, une technique où tous les participants sont arrêtés. Alexandre Popovic rappelle que dans les années 1990, les Squeegee, les laveurs de pare-brise ont été traqués dans une sorte de chasse aux pauvres comme le décrit Grégoire Chamayou [1].
Réfugiés à Toronto, le maire les a stigmatisés comme la peste, une peste qui ciblait le Québec, historiquement plus pauvre et francophone. Francis Dupui Déri ajoute que le Canada est maintenant sous le joug d'un gouvernement conservateur. Le gang de Stephen Harper, un libéral assis entre Bush et Sarkozy disait en 2002 à propos du protocole: «Kyoto est essentiellement un complot socialiste qui vise à soutirer des fonds aux pays les plus riches».
Il ajoutait en direction des organisations des droits de l'homme : «La commission pour les droits de l'homme, par la façon dont elle évolue, est une remise en cause de nos libertés fondamentales et des sociétés démocratiques. En réalité, c'est du totalitarisme. Je trouve que c'est quelque chose de tout à fait effrayant».
La Crap contre les meurtres policiers
Neuf août 2008, Freddy Villanova est tué par le policier Jean-Loup Lapointe parce
qu'il jouait aux dés à un dollar la gagne. Le lendemain, Montréal-Nord connaît sa
première émeute. Mis à part pour les matchs de hockey, la ville n'avait jamais connu
une telle explosion de violence. La SPVM - la police de Montréal - a mis sept heures
pour reprendre le contrôle de ce quartier que les policiers nomment le Bronx.
Alexandre Popovic qui a suivi pour la Crap les journées d'audience du procès raconte
: «Eux autres, ils font la patrouille et voient un groupe de jeunes ; ils réalisent
qu'ils jouent aux dés.»
Le policier claque à Danny Villanova, le frère de la victime: «Et toé, viens ici,
j't vu joué aux dés». Jean-Loup Lapointe saisit son bras droit tandis que sa
coéquipière saisit son bras gauche. Il essaye de l'accoter et le policier fait une
prise au cou. Freddy s'approche. Le policier riposte en tirant quatre balles sur
Freddy âgé de 18 ans. Il mourra deux heures plus tard. Le lendemain les émeutiers
attaquent la caserne des pompiers, les commerces et s'en prennent aux journalistes.
Le quartier est en flammes. La Coalition naît à cette époque. En décembre 2008
aucune charge n'est retenue contre Jean-Loup Lapointe. La police a joué sur la carte
«Gang de rue».
Tentative d'infiltration
Alexandre a lui aussi vécu enfant dans le quartier. Il connaît ses habitants,
enfants d'Haïti ou du Honduras comme les Villanova. Les habitants commencent à
parler de profilage racial de la part de la police. Élément remarquable : la
tentative d'infiltration de la coalition par un policier se faisant appeler Will
Joseph Junior. Découvert rapidement par les militants, celui-ci se proposait de
faire du bruit lors de la commémoration de la mort de Freddy en adressant ce mail :
«Yo wassup. J'ai vu ke vous allé être dans mon hood dimanche pour la marche et
j'apréci fo'sho... Il faut qu'on s'tienne no matter what. Mes boyz sont près à faire
le war. Vous ne connaissez pas le coin, so ensemble, on peut faire du bruit.
Le gouvernement va comprendre kon n'est pas content des shit qui se passe dans
montreal-nord. Écris-moi back pour kon puisse organizé kelkechose de fucktop. Halla
back. Will ». Alors que la famille demandait le calme, ce message internet
témoignait d'une grande finesse. Face au délire policier, Alexandre Popovic souligne
la popularité de la coalition à Montréal-Nord : «Tous les commerces prennent nos
affiches».
Montréal aura l'honneur d'accueillir les jeux mondiaux des policiers et pompiers
(World Police et Fire Game) en 2017. Flash Ball et Taser au programme des épreuves.
Christophe Goby
[1] Grégoire Chamayou. Les Chasses à l'Homme, Ed. La Fabrique, 2010.