Barbie installe son palais à Berlin, les féministes voient rouge
16.05.2013
A Berlin la première maison de Barbie à taille humaine s’est ouverte ce jeudi. Un rêve pour bien des fillettes. Un cauchemar pour les féministes, qui ont manifesté leur fureur
Il se voit de loin, le gigantesque escarpin verni rose vif, planté dans la cour, devant un bâtiment en préfabriqué également rose de la porte au toit. Pour cinq mois, Barbie a posé valises et garde-robes au cœur de Berlin, à quelques pas de l’Alexander Platz. «La maison de rêve de Barbie» – première maison à taille humaine dédiée à l’univers de cette poupée culte et décriée – a ouvert hier ses portes aux fillettes de tous âges dans la capitale allemande.
L’initiative, purement commerciale, s’est attiré les foudres des féministes et des groupuscules de gauche, très actifs à Berlin. Deux camions de police parqués devant l’exposition rappelaient dès l’ouverture que les opposants du mouvement «Occupy Barbie Dreamhouse» avaient appelé à une mobilisation. Elle semble finalement avoir été moins forte que prévue. Plusieurs dizaines de personnes ont manifesté devant l’édifice et une activiste du mouvement Femen a brûlé une poupée crucifiée en dénonçant le sexisme de «cette image parfaite».
Tout, en effet, se veut parfait dans ce musée d’un nouveau genre. La structure de métal et de toile plastique rose est pourtant plantée dans le décor peu féerique d’un parking désaffecté, entre la voie ferrée et des tours d’habitation. Cette reproduction de la maison de Barbie offre 2500 mètres carrés dédiés sur trois niveaux à l’exposition et à l’espace de vente. La visite commence par un ascenseur vaste comme un hall, rose naturellement, aux murs ornés d’écrans. Barbie y souhaite la bienvenue à ses visiteurs tous équipés dès l’entrée d’un bracelet électronique dans lequel ils ont enregistré leurs données: prénom, langue et sexe. Car l’exposition – en trois langues, allemand, anglais et espagnol – se veut interactive: «Ici, on a le droit de tout toucher», s’enthousiasme Marie, une jeune fille brune de 25 ans engagée par le promoteur autrichien de l’opération, EMS, pour faire visiter la cuisine. Trois cuisinières à écran tactile sont plantées au milieu de la pièce, rose du sol au plafond. Les petites visiteuses, peu nombreuses en ce jour d’ouverture, peuvent ouvrir tiroirs et placards et fabriquer des cupcakes virtuels, décorés de crème jaune, verte ou… rose.
Dans la chambre à coucher, le grand lit à baldaquins de Barbie attend les visiteurs. Dany et Christine, un jeune couple de Berlinois fans de Barbie «depuis toujours», ont pris place sous le voilage rose, mais ne cachent pas leur déception face à l’inconfort de cette planche de bois dépourvue de tout coussin. «Je suis un peu déçue», avoue Christine, une jeune Allemande de l’Est née après la chute du Mur, et qui a grandi dans la culture «Barbie»: «C’est vraiment un endroit pour les très jeunes enfants, pas pour les grands!»
Mandy, 5 ans, est plus prolixe. La fillette est venue avec sa grand-mère et a surtout aimé le dressing de la poupée: un couloir orné de penderies contenant la garde-robe, les bijoux, les accessoires et l’impressionnante collection de chaussures grandeur nature. «Mandy adore Barbie. Elle a plusieurs poupées à la maison. Alors, on est venues dès l’ouverture», explique Hannelore. Cette pimpante quinquagénaire brune aux mensurations à l’opposé de celles de Barbie ne comprend pas pourquoi l’exposition a suscité un tel débat à Berlin.
De fait, Barbie n’a pas que des amis dans la capitale allemande. Michael Koschitzki, 27 ans et membre du parti néocommuniste Die Linke, est outré: «Pour 22 euros (le prix d’entrée pour un enfant, défilé de mode virtuel, karaoké et séance de maquillage compris) tu peux avoir deux carrières: mannequin ou pop star! Quelle image cela transmet-il aux jeunes femmes? Cuisiner, se maquiller, chanter… C’est l’image traditionnelle de la femme qui est vendue ici!»
Koschitzki a pris la tête du mouvement d’opposition au projet, qui regroupe des élus de Die Linke, des Verts, et l’initiative «lerosepue» qui se révolte contre l’hégémonie du rose dans l’univers des fillettes. Alessa, 21 ans, les yeux brillants devant une robe en lamé et paillettes, s’étonne également de ces points de vue tranchés. Elle est venue dès l’ouverture, invitée par sa meilleure amie, Amanda. Elles qui ont grandi avec Barbie assurent ne pas avoir été influencées par l’image anorexique et sexiste que renvoie cette poupée aux mensurations improbables.
Barbie à Berlin, c’est un peu un retour aux sources pour la figurine créée par le fabricant de jouets américain Mattel en 1959. La première Barbie a été conçue par Ruth Handler, alors vice-présidente de Mattel, pour sa fille Barbara dite Barbie, au retour d’un voyage en Allemagne. Ruth Handler avait découvert en RFA «Bild Lilly», une poupée adulte à taille de guêpe, forte poitrine et longues jambes, tout droit sortie d’une série de bande dessinée à succès présentée alors chaque jour dans le quotidien Bild Zeitung. Dans les années 50, Bild Lilly était le symbole de la Fraülein du miracle économique allemand: sexy mais sage, destinée à un beau mariage et à un avenir certain de maîtresse de maison. La carrière de Barbie est pourtant impressionnante: la poupée la plus vendue au monde a été candidate à l’élection présidentielle, cosmonaute ou chirurgienne.