Un monstre qui écoutera tout, tout le monde, tout le temps. "Dès cet été, l'ensemble des communications mises sur écoute passera par ces grandes oreilles de l'Etat", écrit dans une grande enquête publiée mardi 7 mai sur la PNIJ, la "plate-forme nationale des interceptions judiciaires". Un nouveau système de surveillance qui centralisera "plus de 5 millions de réquisitions judiciaires" et "40 000 écoutes autorisées par les juges" chaque année.
Le projet, imaginé par Nicolas Sarkozy et piloté par les ministères de la Justice, devait être secret. Mais les révélations de "L'Express", qui s'ajoutent à celle du défunt site Owni et du "Canard enchaîné" fin 2012, lèvent le voile sur la part d'ombre de la PNIJ sous la gestion du géant français Thales.
Fonction régalienne
"Aujourd'hui, les écoutes sont opérées par une multitude de sous-traitants", explique au "Nouvel Observateur" Pierre Alonso, journaliste, ancien d'Owni et qui a mené l'enquête. "Avec ce nouveau système, géré uniquement par Thales et centralisé au sein d'un seul bâtiment, tout devient traçable. En plus du coût et la simplicité, le but de la manoeuvre est d'éviter les dérives et les écoutes illégales, comme les écoutes-taxis", précise le journaliste, qui travaille désormais à Slate. "Mais voilà, il y a des risques de sécurité liés à la centralisation de la plate-forme. Sans parler du fait que c'est une entreprise privé qui s'occupe d'une fonction régalienne."
Le traitement des réquisitions judiciaires sera centralisé dans un bâtiment de Thales, à Elancourt dans les Yvelines. "Thales précise converser les données des réquisitions et les chiffrer. Mais l'entreprise ne dit pas qui a accès à ces données et qui est capable de les déchiffrer", assure Pierre Alonso. Le risque est plus grand de voir les serveurs piratés s'ils sont regroupés en un seul endroit. Mieux encore, selon les informations de "L'Express", le bâtiment de secours, en cas de panne, ne se situe qu'à 300 mètres du bâtiment principal. Trop près, donc, en cas d'incendie ou d'incident physique.
"Cible potentielle"
Le projet n'a pas suscité l'enthousiasme des policiers. Dès juin 2011, le syndicat de police "Synergie officier" fait part de son scepticisme sur le bien-fondé du projet dans une lettre au ministre de l'Intérieur de l'époque, Claude Guéant. Le syndicat estime que "milliers de lignes pourraient être défaillantes" en cas de panne de la "centrale". "Quant à la sécurité interne de la PNIJ, rien ne garantit qu'elle puisse faire échec à des tentatives d'intrusions de puissance étrangères, de pirates informatiques ou de groupes criminels."
Le directeur général de la police nationale, Frédéric Péchenard, enfonce le clou et "déclare que cette plate-forme est 'une cible potentielle, du fait même de la concentration de données sensibles'", précise "L'Express", qui a récupéré une copie d'une note confidentielle. Frédéric Péchenard pointe que "cette fragilité a été soulignée par l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information [Anssi]."
Plus inquiétant, depuis le début du projet de la Pnij, la Commission nationale de l'informatique et des libertés n'aurait jamais été consultée, selon le "Canard".
"Des dépenses exorbitantes"
Le budget du projet, qui a déjà deux ans de retard, a explosé. De 17 millions d'euros, il est passé à 42 millions révélait le "Canard" en septembre dernier. La cause ? Le déploiement de la fibre optique jusqu'au site d'Elancourt par les opérateurs. Mieux, selon le syndicat de police Synergie, "la PNIJ est susceptible d'engager les deniers publics dans des dépenses exorbitantes par un nécessaire re-dimensionnement du réseau général de transmissions". Autrement dit, le réseau de la police nationale ne peut pas supporter les flux de données qui sera émis de la PNIJ.
Un comble alors que le rapport du sénat sur le projet de finances pour 2013 assure que la nouvelle plate-forme doit permettre de faire des économies.