La surenchère sécuritaire de Christian Estrosi
11.01.2011
L'une des conséquence du projet de loi du député UMP Christian Estrosi est la fin de l'exception de minorité.AFP/ERIC PIERMONT
Abaissement de la majorité pénale à 16 ans, fin de l'excuse de minorité sauf exception, possibilité pour les parties civiles de faire appel d'une libération conditionnelle et d'avoir accès au dossier du juge des libertés et de la détention... Telles sont les mesures que voudraient mettre en œuvre quelques députés UMP dans un nouveau train de lois sécuritaires.
Alors que le gouvernement semblait lever le pied sur les questions de délinquance depuis l'offensive de l'été contre les Roms, Christian Estrosi et le député du Nord Bernard Gérard s'apprêtent à déposer deux propositions de loi, que Le Monde.fr a pu se procurer. L'un vise essentiellement la délinquance des mineurs (.pdf), l'autre se concentre sur la question de la récidive. Selon des sources parlementaires, tous deux ont été directement élaborés par les services du ministère de l'intérieur, ce que dément formellement l'entourage du député-maire de Nice.
Il faut maintenant que Christian Estrosi parvienne à faire inscrire ces propositions de lois à l'ordre du jour. L'élu s'est lancé dans la collecte de signatures et en aurait "plus de 50" selon son entourage. Mais le patron des députés UMP, Christian Jacob, ne semble pas pressé de débattre de textes qualifiés de "caricaturaux" par les syndicats de magistrats.
FIN DE L'EXCUSE DE MINORITÉ ?
Six lois concernant les mineurs ont été adoptées depuis 2002 : les lois Perben I et II, en 2004, qui ont étendu les possibilités de détention et de garde à vue à partir de l'âge de 13 ans, la loi de 2007 réformant la récidive, une autre sur la prévention de la délinquance réformant l'ordonnance de 1945 la même année, sans oublier la loi de septembre 2010 contre l'absentéisme scolaire, ou encore la loi Loppsi II toujours en cours d'examen.
Ce qui n'empêche pas le maire de Nice, dans son exposé des motifs de la loi, d'évoquer longuement une explosion de la délinquance des mineurs. Pourtant, la proportion des mineurs dans les faits de délinquance est stable : c'est la délinquance en général qui augmente.
Pour cette septième loi en neuf ans, il s'agit de franchir une étape nouvelle en mettant fin, sauf cas particuliers, à l'exception de minorité, qui est la règle depuis 1906. Allant plus loin que le rapport Varinard de 2008, la proposition de loi de Christian Estrosi met fin à cette approche, selon laquelle les mineurs sont jugés devant une juridiction à part, et pénalisés spécifiquement. "C'est complètement fou, s'étrangle Odile Barral, secrétaire du Syndicat de la magistrature (SM, gauche) et ancienne juge des enfants. Ce serait la fin de la spécialisation de la justice des mineurs, ce qui est sans doute inconstitutionnel et contraire à plusieurs traités internationaux sur les droits de l'enfant."
Pour Christian Estrosi, cette loi est surtout "en phase avec la réalité de notre temps". Si elle était votée, elle rendrait automatique, sauf si le juge pour enfant le décide, le renvoi des mineurs de plus de 16 ans devant une juridiction pour adultes. Il serait également mis fin, là encore sauf exception décidée par le juge, à "l'excuse de minorité" qui faisait que les mineurs n'effectuaient que la moitié des peines. "C'est non seulement inacceptable, mais totalement aberrant sur un plan pratique. Les tribunaux correctionnels ne pourraient pas absorber ce surplus", s'indigne Odile Barral.
"ON RECRÉE DES CHOSES QUI EXISTENT DÉJÀ"
Autre proposition contenue dans le texte de Christian Estrosi : regrouper l'ensemble des "mesures éducatives", prévues par la justice des mineurs en un seul article, qui change leur nom en "sanctions éducatives". Celles-ci, au nombre de 17, vont du placement d'office en institution, internat fermé ou en "établissement médical", à des travaux d'intérêt général, en passant par la confiscation d'objet ayant servi à commettre l'infraction, comme un scooter par exemple.
"On essaye de recréer des choses qui existent déjà, note Odile Barral. On peut déjà placer des mineurs en institution et leur infliger une mesure éducative, ou encore confisquer l'objet du délit. On n'arrête pas d'inventer de nouveaux 'machins' sans se préoccuper des moyens ou de l'existant."
La seconde proposition, portée par le député Bernard Gérard, concerne la récidive. Là encore, la question a donné lieu à de nombreux textes, notamment la loi sur les peines plancher de 2007, ou celle sur la rétention de sûreté en 2008. La proposition touche cette fois aux réductions automatiques de peines accordées à certains détenus, qui pourraient être supprimées en cas de mauvaise conduite en prison. La notion de "rétention de sûreté", introduite en 2008 et qui permet de maintenir enfermé un détenu après sa peine, s'il est considéré comme dangereux et susceptible de récidive, serait également renforcée.
"ON RISQUE D'EN ÊTRE AU RÉTABLISSEMENT DE LA PEINE DE MORT"
Surtout, cette proposition de loi cible le juge d'application des peines, responsable des libérations anticipées. "Il arrive que des décisions prises par le juge d'application des peines conduisent à une incompréhension voire à la révolte de nos concitoyens", assure le texte, qui propose que les parties civiles puissent avoir accès au dossier de libération anticipée d'un condamné. Elles pourraient de ce fait interjeter appel d'une libération anticipée.
Une initiative qui choque, une fois encore, les syndicats de magistrats. "On mélange les rôles. Les parties civiles peuvent obtenir réparation en justice, mais les victimes n'ont pas à décider de la peine infligée ni des conditions de libération, ce serait une dérive considérable. Imaginez les risques d'instrumentalisation !", dénonce la secrétaire du Syndicat de la magistrature.
Ces propositions de loi peuvent-elles être votées ? Entre membres de la "droite libre", le groupe le plus à droite du parti majoritaire, et ceux qu'on surnomme au sein du groupe UMP les "pizzaiolos", députés du Sud-Est proches de Christian Estrosi, ce dernier se targue d'avoir déjà récolté une cinquantaine de signatures d'élus, et promet qu'il en alignera plus, ce qui lui permettrait de pousser à ce que son texte soit inscrit.
Du côté du Parti socialiste, on est sceptique. "Tout cela n'a aucun intérêt et n'est réclamé par personne. L'Assemblée meurt de ces initiatives stupides", s'indigne Jean-Michel Urvoas, député du Finistère et spécialiste des questions de sécurité. "Je ne comprends même pas qu'Estrosi arrive à vendre ce genre d'idées. C'est 'plus à droite que moi, tu meurs'. A ce rythme, d'ici à 2012, on risque d'en être au rétablissement de la peine de mort."